evelyne de behr

Porte D, Benoît Dusart, pour la Slrb, 2019
Porte D
Au départ d’une résidence d’un an et demi à l’Espace Destrier, Evelyne de Behr et Léa Mayer ont nourrit un projet dont la conclusion fait lien entre leurs pratiques artistiques, l’évolution urbanistique et architecturale du site et ses habitants passés, présents et futurs.
Porte D ne relève pas seulement d’un témoignage offert au regard de tous. S’il est bien question de faire monument, d’édifier l’identité et la mémoire par la « médiation de l’affectivité », aucune allégorie ne vient troubler, par le silence respectueux et la fixité qu’elle impose, l’agitation des corps et la course du temps. Rien ici ne coupe la parole au présent, n’écrase par son échelle le flux du vivant, ne suggère une distance frileuse ou recueillie.
Porte D est la reproduction à l’échelle 1 d’un entrebâillement situé dans l’immeuble Atlas, bientôt démoli au profit de logements plus durables. La porte en question a disparu, au profit d’un seuil ouvert sur le paysage environnant : un espace vert partagé, multifonctionnel, déployé à l’abri du brouhaha urbain. Des détails rappellent l’histoire première : un étroit pan de mur accueille la trace d’un interrupteur, les moulures évoquent le charme un peu désuet d’une salle à manger ou d’un salon dans lequel tout le monde peut virtuellement se projeter. La table à disparu, comme le couloir et les chaises. Si cela ne sent plus le savon noir, la cuisine et le tabac, si le béton a remplacé les boiseries, il y en a bien assez pour convoquer l’ethos des univers domestiques : attitudes, dispositions et principes incarnés dans des gestes dont le caractère apriori anodins renvoie néanmoins à une éthique, fût-elle inexprimable ou tacite : « la vie est quotidienne de bout en bout ».
En témoigne le calendrier, roman le plus consulté au monde, cœur normatif de l’existence, structurant toutes les relations entre « le travail » et « les loisirs », « le privé » et « le public ». A cet outil aliénant s’oppose un autre forme de mesure: toutes les maisons ou presque connaissent en un recoin discrètement investit, la date, le prénom et la taille des enfants. Marques subtiles substituant la croissance d’un fils ou d’une nièce à la seule répétition des jours : « il faut grandir ».
La Porte D est une toise : du latin tendere, en français « tendre », et signifie  « l’étendue des bras ». Cette unité équivaut à la distance entre les bouts des doigts lorsque les deux bras sont déployés : un peu moins de deux mètres. Entre tendere, tendre et tendresse, il n’y a qu’un pas. Car c’est aussi du bout des doigts  que se signe au marqueur le trait vif et léger du temps présent, l’amour et l’attention portée à celui ou celle qui s’y inscrit.
Evelyne de Behr et Léa Mayer conjuguent alors la mémoire collective d’un lieu aux souvenirs singuliers des êtres, déterritorialisent l’espace domestique au profit de rencontres et d’échanges socialisés, convoquent l’intimité au seuil d’un présent et d’un devenir commun.
Il existe nombre de monuments n’ayant que l’horizon auquel se mesurer. Il en est d’autres, plus rares, qui s’impressionnent de gestes ou d’actions se situant en deçà ou au delà des symboles convoqués, et qui pourtant œuvrent à faire liens.
B. Dusart.